L'ambivalence du mail
Le courrier électronique est une technologie aussi précieuse que pernicieuse. Le mail remplace admirablement la lettre postale pour les petites communications d'usage qui prenaient autrefois des semaines, voire des mois. Il est aussi un compagnon de travail indispensable et s'avère nettement moins intrusif que le téléphone qui impose une réaction d'urgence : un téléphone sonne ou vibre pendant de longues secondes tant que vous ne prenez pas la décision de décrocher ou raccrocher. Un mail est en outre plus formel qu'un message instantané et redonne la maîtrise du temps au destinataire comme à l'expéditeur. C'est vous qui décidez quand vous lisez un mail et quand vous y répondez. La personne qui vous envoie le mail sait pertinemment qu'elle ne peut espérer une réponse immédiate et peut donc vaquer à ses occupations. Ça, c'est le côté lumineux de la force.
Cependant, le côté obscur vous guette... Contrairement au téléphone qui encourage le modèle paradoxalement très binaire du « tout ou rien », joignable ou en communication, la boîte mail ne cesse d'engranger silencieusement de nouveaux messages en toutes circonstances. En encourageant la procrastination, le mail représente d'ailleurs un véritable piège. La pression évitée à court terme avec le téléphone ou la messagerie instantanée se mue en pression à long terme sous l'effet de l'accumulation. En quelque sorte, la pression qualitative devient pression quantitative.
Le mail incarne à lui seul tout ce que l'on peut reprocher à Internet en général. L'efficacité qu'il offre est inestimable, à tel point que l'on pourrait difficilement s'en passer aujourd'hui. Néanmoins il est aussi un important vecteur de stress par le trop-plein d'informations qu'il entretient en flux continu. Insidieusement, le mail a déporté les centres de tri postaux dans les foyers. Dommage que ce CDI généreusement offert par « Internet, Inc. » soit à titre gracieux...